Laissez les morts aller enterrer leurs morts
ne les aidez pas.
Laissez les morts prendre soin des morts
laissez-les ensemble,
ne les servez pas.
Les morts dans leurs mains sales de morts
ont des monceaux d’argent,
ne le prenez pas.
Les morts dans leurs cerveaux grouillants
foisonnent de mots blancs phosphorescents,
de sagesse pourrie et de sapience qui pue subtilement ;
ne les croyez jamais.
Les morts sont myriades, ils ont l’air puissants.
Ils font siffler les trains, ricaner les voitures, cahoter les bateaux,
moudre les moulins encore et encore,
et vous gardent par millions au moulin, esclaves pâles et aveugles,
prétendant que ce sont là les moulins de Dieu.
C’est le grand mensonge des morts.
Les moulins de l’industrie ne sont pas les moulins de Dieu.
Et les moulins de Dieu moulent autrement, par les vents de la vie et pour les meules.
Faites confiance aux moulins, bien qu’ils moulent extrêmement fin.
Mais comme pour les moulins de l’homme,
ne leur soyez pas attelés.
Les morts donnent des bateaux et des machines, le cinéma, la radio et le gramophone,
ils envoient des avions à travers ciel,
et ils disent, maintenant voyez ! Vous vivez la vraie vie !
Pendant que vous écoutez, pendant que vous regardez le film ou conduisez une voiture,
pendant que vous lisez une page sur des vaisseaux de l’air traversant l’Atlantique sauvage
voyez ! Vous vivez la vraie vie, la vie prodigieuse !
Comme vous le savez c’est du pur mensonge,
vous tombez tous morts, cadavres pâles,
à écouter le mensonge.
Crachez-le
Oh, cessez d’écouter les morts-vivants.
Ils sont simplement avides de votre vie !
Oh, cessez de travailler pour les morts aux dents en or ;
ils sont si avides, pourtant si démunis si on ne travaille pas pour eux.
Ne soyez jamais bons pour les morts aux sourires pleins de dents
ne soyez jamais bons pour les morts,
c’est se vendre à des cadavres,
à des morts répugnants, vivants et gras.
Enterrez gentiment un homme s’il s’est couché dans la mort.
Mais avec les morts qui se promènent et parlent, et sont conventionnellement persuasifs,
avec compte bancaire et police d’assurance
ne sympathisez pas, sinon vous infectez les bébés encore à naitre.
DH Lawrence, Pansies. Gallimard. Choix trad. et prés. par Lorand Gaspar et Sarah Clair.
Ill. Antoni Clavé.