Elle n’est pas habituée à la vie de la campagne
les gens de la campagne tuent le coeur comme l’esprit
disait toujours le professeur
un citadin n’a rien à faire à la campagne
les citadins vont à la campagne
et sont anéantis dans le temps le plus bref
tout à la campagne est contre le citadin
le citadin dépérit à la campagne s’étiole
et est anéanti dans les temps les plus brefs
p.24-25
Madame Zittel Madame Zittel criait-il et il
courait à la fenêtre
Vous voyez la Place des Héros criait-il vous
voyez la Place des Héros
toute la journée elle entend les cris sur la
Place des Héros
toute la journée continuellement
continuellement continuellement Madame
Zittel
c’est à devenir fou à devenir fou Madame
Zittel
et j’en deviendrai fou deviendrai fou
p.27
mais Vienne est pour moi chaque jour
un bien plus grand cauchemar
je n’ai plus d’existence ici
je me réveille et je suis confrontée à la peur
les choses sont aujourd’hui réellement telles
qu’elles étaient en trente-huit
Il y a aujourd’hui plus de nazis à Vienne
qu’en trente-huit
tu verras
tout finira mal
il n’est même pas besoin
d’une intelligence particulièrement vive
maintenant ils ressortent
de tous les trous
qui étaient restés bouchés pendant plus de
quarante ans
Il te suffit de parler avec n’importe qui
il ne faut pas beaucoup de temps pour qu’il
s’avère
que c’est un nazi
que tu ailles chez le boulanger
ou à la teinturerie à la pharmacie
ou au marché
à la Bibliothèque Nationale je crois
n’être qu’au milieu de nazis
ils n’attendent tous que le signal
pour pouvoir ouvertement passer à l’action
contre nous
(…)
En Autriche tu dois être ou catholique
ou national-socialiste
tout le reste n’est pas toléré
tout le reste est anéanti
et cent pour cent catholique
et cent pour cent national-socialiste
p.64-65
Alors il faudrait sans interruption
jour et nuit protester
car partout tout est anéanti
partout la nature est anéantie
la nature et l’architecture tout
Bientôt tout sera anéanti
le monde entier sera bientôt méconnaissable
p.87
Je le sais
ça ne m’échappe pas
que l’on détruit tout
vous faites comme si je n’en savais rien
je sais aussi qu’on abat la vieille école
mais je ne proteste plus
vous êtes là pour ça
la génération suivante
le monde n’est déjà plus en fait aujourd’hui
qu’un monde détruit
en fin de compte insupportablement laid
on peut aller où on veut
le monde aujourd’hui n’est plus que laid
un monde de stupidité d’un bout à l’autre
tout est à l’agonie où qu’on regarde
le mieux serait de ne plus se réveiller
ces cinquantes dernières années ceux qui
nous gouvernent ont
tout détruit
et ce n’est plus réparable
les architectes ont tout détruit
par leur stupidité
les intellectuels ont tout détruit
par leur stupidité
le peuple a tout détruit
par sa stupidité
les partis et l’Eglise
ont tout détruit par leur stupidité
qui a toujours été une stupidité pleine de bassesse
et la stupidité autrichienne est une stupidité
de bout en bout repoussante
L’industrie et l’Eglise
sont responsables du malheur autrichien
les gouvernements sont totalement dépendants
de l’industrie et de l’Eglise
il en a toujours été ainsi
et c’est en Autriche que tout a toujours été le pire
tous ont couru après la stupidité
l’esprit a toujours été piétiné
L’industrie et le clergé tirent les ficelles
du mal autrichien
En fait je comprends très bien votre père
ce qui me sidère c’est que le peuple autrichien tout entier
ne se soit pas suicidé depuis longtemps
mais les Autrichiens dans leur ensemble en tant que masse
sont aujourd’hui un peuple de brutes et d’imbéciles
Dans cette ville quelqu’un qui voit devrait
jour après jour vingt-quatre heures sur
vingt-quatre faire un carnage
(…)
La seule chose qui soit restée à ce pauvre peuple immature
c’est le théâtre
L’Autriche elle-même n’est rien d’autre qu’une scène
où tout va à vau-l’eau à la putréfaction à l’agonie
une figuration enfoncée dans la haine d’elle-même
formée par six millions et demi d’abandonnés
six millions et demi de débiles et de fous furieux
(…)
Les Autrichiens sont des possédés du malheur
L’Autrichien est malheureux par nature
et lorsqu’il lui arrive d’être heureux il en a honte
et dissimule son bonheur sous son désespoir
p.91
Tout maintenant a touché le fond
pas seulement en politique tout
les hommes la culture tout
en quelques décennies tout a été dilapidé
c’est irréparable même en des siècles
quand on imagine ce qu’a été
cette Autriche
il ne faut pas y penser
ce serait une véritable provocation au suicide
je n’ai jamais été partisan de la monarchie
c’est tout à fait clair
personne d’entre nous ne l’était
mais ce que ces gens-là ont fait de l’Autriche
est indescriptible
un cloaque sans esprit ni culture
qui répand sur l’Europe entière son insistante puanteur
et pas seulement sur l’Europe
ce républicanisme mégalomane
et ce socialisme mégalomane
qui depuis un demi-siècle déjà n’a plus rien à voir
avec le socialisme
la comédie que nous donnent les socialistes ici en Autriche
n’est rien d’autre que criminelle
mais aussi bien les socialistes ne sont-ils plus des socialistes
les socialistes aujourd’hui ne sont en fait pas autre chose
que des nationaux-socialistes catholiques
le socialisme les socialistes autrichiens
l’ont assassiné dès le début des années cinquante
depuis il n’y a plus de socialisme en Autriche
plus que ce pseudo-socialisme qui vous donne la nausée
qui vous coupe l’appétit tous les jours dès le petit matin
ce sont ces prétendus socialistes qui ont réveillé en Autriche
le national-socialisme d’aujourd’hui
ce sont ces prétendus socialistes qui ont rendu possible à nouveau
ils l’ont réveillé
ces prétendus socialistes qui depuis déjà un demi-siècle
ne sont plus des socialistes
sont les véritables fossoyeurs de cette Autriche
c’est ce qu’il y a de terrifiant et de quotidiennement nauséabond
les socialistes sont aujourd’hui les exploiteurs
les socialistes ont l’Autriche sur la conscience
les socialistes sont les fossoyeurs de cet Etat
les socialistes sont aujourd’hui les capitalistes
les socialistes qui ne sont pas des socialistes
sont les véritables assassins de cet Etat
en comparaison la canaille catholique est totalement négligeable
Si de nouveau il n’y a pratiquement plus aujourd’hui en Autriche que des nationaux-socialistes
la faute en est aux seuls socialistes
Si l’Autriche est aujourd’hui un peuple tombé si bas
et un pays si malpropre d’un bout à l’autre corrompu
nous le devons à ces pseudo-socialistes gros et gras
perfidie pseudo-socialiste sous couvert de démocratie voilà
il y a longtemps qu’à mes oreilles le mot socialisme
est une insulte répugnante
qui me fait aussi peur que le mot national-socialisme
tous ces partis
mais en fait les Autrichiens tous ensemble sont aujourd’hui les fossoyeurs de leur pays
tout ici est livré à la bassesse
et s’asphyxie chaque jour dans l’abjection et l’hypocrisie
Mais je suis bien vieux et n’ai plus envie
de me mêler de quoi que ce soit
ça n’aurait d’ailleurs aucun sens
quand tout pue la décomposition
et tout crie la mise en pièces
la voix de l’individu est devenue sans objet
ce n’est pas que l’on ne dise rien et qu’on n’écrive rien
contre ces processus désastreux
chaque jour on dit et on écrit
quelque chose contre
mais ce qu’on dit contre et qu’on écrit contre
n’est pas entendu et n’est pas lu
les Autrichiens n’entendent plus rien et ils ne lisent plus rien
c’est-à-dire ils entendent quelque chose à propos de situation catastrophique
mais ils ne font rien contre
et lisent des choses à propos de situation catastrophique
mais ils ne font rien contre
les Autrichiens sont devenus un peuple d’une indifférence totale
face à leur situation catastrophique
voilà leur malheur voilà leur catastrophe
p.102
(…)
Les Autrichiens sont depuis bien longtemps condamnés à mort
ils ne le savent simplement pas encore
ils n’en ont pas encore pris connaissance
il y a bien longtemps que le verdict est tombé
l’exécution n’est qu’une question de temps
à mon avis l’application de la peine est imminente
p.103
(…)
Tout époque est épouvantable
disait toujours votre grand-père
mais on ne s’en aperçoit que quand on est vieux
Que tout me dégoûte ici
je n’en parle pas en fait
mais je pense tout le temps
que tout me dégoûte
l’Etat un cloaque puant et mortel
L’Eglise une bassesse qui s’étend sur le monde entier
les gens qui vous entourent
insondablement laids et stupides
le président fédéral une brute rouée hypocrite
et en fin de compte un caractère déprimant
le chancelier un faux-jeton qui met l’Etat à l’encan
le pape offre dans ses appartements
ce qu’on appelle un repas chaud aux sans-abri
et fait publier la chose dans le monde entier
un monde cynique
le monde entier n’est qu’un grand cynisme
des acteurs mégalomanes
exploitent le Sahel
des directeurs pervers d’organisations de charité
prennent l’avion en première classe pour l’Erythrée
et se font photographier pour la presse mondiale
avec les morts de faim
le chancelier fédéral s’avance vers le podium en costume rayé
et se gargarise de camarades
les dirigeants syndicaux jonglent
dans leur villas de Salzkammergut avec les milliards
et voient leur principale mission dans des spéculations bancaires sans scrupules
Des écrivains pas très nets
vont dans les prisons
et lisent aux prisonniers
leurs hypocrites déjections comme des oeuvres d’art
un monde cynique
un monde dépravé de bout en bout
avec lequel je ne veux plus rien avoir à faire
En fin de compte c’était votre père le plus faible
il ne pouvait plus résister à cette pression
c’était tout simplement trop pour lui
les subterfuges philosophiques ne lui ont servi à rien
quand l’arc est trop tendu
il peut arriver une catastrophe
p.106
(…)
tout n’est qu’un immense dépôt de bilan
p.107
(…)
ce serait effroyable
de revenir au monde encore une fois tout encore une fois
c’est tout de même la plus effroyable des pensées
le but c’est la fin
c’est la seule pensée consolatrice
(…)
p.108
La vie entière n’est en fait rien d’autre
que se voir infliger une douleur permanente
une immense douleur voilà toute la vie
tous se mentent constamment à eux-mêmes à perpétuité
L’Eglise remplace pour la collectivité le cerveau
elle met à disposition de chacun son Dieu unique
elle met son bon Dieu en fermage pour ainsi dire
et pas seulement pour quatre-vingt-dix-neuf ans
mais pour chacun à perpétuité
elle s’en porte garante
je ne parle pas seulement de l’Eglise catholique
toutes les religions mettent leur bon Dieu en fermage
la foi n’est rien d’autre qu’un contrat de fermage
Des milliards de fermiers paient tous les ans leur gros fermage
à leur église
et s’y saignent
p.108
(…)
Ce qu’écrivent les écrivains
n’est rien en comparaison de la réalité
oui oui ils écrivent oui que tout est effroyable
que tout est corrompu et dépravé
que tout est catastrophique
et que tout est sans issue
mais tout ce qu’ils écrivent
n’est rien en comparaison de la réalité
la réalité est si abominable
qu’elle ne peut pas être décrite
aucun écrivain n’a encore décrit la réalité
comme elle est réellement
voilà ce qui est effroyable
ils font quelques pas et s’arrêtent à nouveau
Ce qu’ils préféreraient
s’ils sont sincères
c’est exactement comme il y a cinquante ans
nous gazer
voilà ce qu’il y a au fond de ces gens-là
je ne me trompe pas
s’ils pouvaient
aujourd’hui encore sans façon
ils nous supprimeraient
Mon frère a fui lui aussi ces gens effroyables
dans Kleist Goethe Kafka
mais on ne peut pas toute sa vie
se contenter de fuir dans la littérature et dans la musique
à partir d’un certain point ça ne marche plus
il ne reste plus alors selon les cas que le suicide
Probablement ce n’est qu’une question d’instant favorable c’est tout.
p.119
(…)
Donner à penser
ce n’était en fait rien de plus
Les oreilles des auditeurs sont toujours sourdes
on parle mais ce n’est pas compris
Incapacité à se renier soi-même
dans tous ces visages il n’y a en fait que prétention
rien d’autre
Tous les domaines du savoir profanés
toute culture anéantie
l’esprit éradiqué
autrefois c’était un plaisir de sortir dans la rue
p121
(…)
Quand on parle avec un être humain
il s’avère que c’est un idiot
en chaque Viennois il y a un exterminateur à la chaîne
mais il ne fait pas se laisser gâter sa bonne humeur
C’est la logique tout simplement d’être asphyxié
dans une communauté de destin
Vienne est une ville froide grise provinciale
c’est l’influence américaine qui la rend si répugnante
L’américanisme a tout détruit ici
Jamais je ne me suis laissé gâter ma bonne humeur
L’essence de l’Autriche je me demande toujours
ce que c’est
l’absurdité au carré
elle nous attire et nous repousse
socialisme totalement dépravé
christianisme totalement dépravé
A la fin cela ne fait que nous répugner à tous
voilà ce qui nous déprime
p.122
(…)
L’individu on en fait aujourd’hui ce que veut l’Etat
(…)
L’individu L’Etat l’a toujours envoyé se faire foutre
(…)
Sale époque
(…)
Au petit matin celui qui pense ne peut qu’avoir la nausée
(…)
Il règne partout un état de choses chaotique
Le mensonge est maître de tout
et l’impuissance
Sans doute le gouvernement sera remanié
à l’automne
(…)
Ce n’est pas la question
c’est totalement indifférent de savoir ce qu’il y a comme gouvernement
c’est en fait du pareil au même
ce sont en fait toujours les mêmes gens
ce sont en fait toujours les mêmes affaires que font ces gens
ce sont toujours les mêmes intérêts
ce sont en fait toujours ces gens toujours parfaitement dépravés
qui mènent chaque jour davantage l’Etat à sa perte
(…)
Rien que la langue de ces gens
est si répugnante
écoutez donc le chancelier fédéral
il n’est même pas capable de terminer correctement
une phrase
et les autres non plus
de tous ces gens ne sort toujours que de l’ordure
ce qu’ils pensent est de l’ordure
et leur manière de l’exprimer aussi est de l’ordure
(…)
Et les journaux écrivent de l’ordure
dans les journaux aussi on écrit une langue qui vous retourne l’estomac
sur la moindre page de journal je vous le garantis
sans parler des mensonges qui y sont imprimés
des centaines d’erreurs
les rédactions des journaux en Autriche
ne sont en fait rien d’autre que des porcheries sans scrupules au service des partis
(…)
Rien que des gens sans la moindre qualification
qui sont incapables de penser et donc d’écrire
(…)
Mais nous absorbons jour après jour ces déjections
en les lisant
parce qu’elles nous intéressent
et parce que nous sommes fascinés
Avouez donc cher collègue
qu’au fond ces feuilles de chou pour idiots
avec leur stupidité littéralement infernale
vous intéressent plus que par exemple le Nouveau Journal de Zurich
Ce qu’il est convenu d’appeler le haut niveau a toujours été ennuyeux
Ce que nous cherchons dans les journaux est effectivement la lie
Pour l’usage quotidien de ma pensée je n’ai pas besoin de journal
c’est de l’absolue primitivité de ces déjections journalistiques autrichiennes
que j’ai besoin tous les matins
p.128
(…)
Quand vous élisez aujourd’hui en Autriche
un homme politique
vous n’élisez en fait qu’un porc corrompu
oui c’est comme ça
(…)
p.131
Tout est en cours de décomposition
p.136
Les hommes politiques ont pressuré ce pays
l’ont jusqu’au bout détruit défiguré anéanti
Qu’en pensez-vous
(…)
Les Autrichiens n’ont pas le choix
quoi que choisisse l’Autrichien
c’est de la bassesse
(…)
Ce n’est qu’une question de temps
pour que les nazis reviennent au pouvoir
tous les signes le disent
les Rouges et les Noirs font entièrement le jeu des nazis
(…)
Alors il se passera exactement
ce que veut une grande partie des Autrichiens
que règne le national-socialisme
au dessous de la surface le national-socialisme
est en fait depuis bien longtemps revenu au pouvoir
p.140
Les professeurs d’université aujourd’hui en Autriche
sont presque sans exception des esprits provinciaux
ce qu’ils appellent pensée n’en est pas une
il leur manque en fait les plus simples présupposés
la pensée dans nos Facultés n’est plus en fait depuis des décennies
mise du tout en mouvement
et à cela s’ajoute la mentalité national-socialiste absolue
et catholique absolue qui est ici maître de tout
Les professeurs d’université d’aujourd’hui
sont d’une incroyable primitivité
leur innocence est catastrophique
Quand vous pensez que dans nos universités
les chaires les plus importantes sont occupées par des Tyroliens et des nazis de Salzbourg
ça ne peut être en fait que catastrophique
C’est la stupidité des hautes montagnes qu’on prêche aujourd’hui
voilà la vérité le kitsch de la nouvelle majorité
ce sont d’insupportables brutes qui enseignent
qui n’enseignent plus que la faiblesse d’esprit alpine rien d’autre
autrefois les professeurs d’université venaient de la haute-bourgeoisie
du judaïsme grand-bourgeois
aujourd’hui ils viennent du prolétariat petit-bourgeois mal élevé
et de la paysannerie débile
p.152
L’arche éditeur.