Place des héros. Thomas Bernhard

Elle n’est pas habituée à la vie de la campagne

les gens de la campagne tuent le coeur comme l’esprit

disait toujours le professeur

un citadin n’a rien à faire à la campagne

les citadins vont à la campagne

et sont anéantis dans le temps le plus bref

tout à la campagne est contre le citadin

le citadin dépérit à la campagne s’étiole

et est anéanti dans les temps les plus brefs

p.24-25

Madame Zittel Madame Zittel criait-il et il

courait à la fenêtre

Vous voyez la Place des Héros criait-il vous

voyez la Place des Héros

toute la journée elle entend les cris sur la

Place des Héros

toute la journée continuellement

continuellement continuellement Madame

Zittel

c’est à devenir fou à devenir fou Madame

Zittel

et j’en deviendrai fou deviendrai fou

p.27

mais Vienne est pour moi chaque jour

un bien plus grand cauchemar

je n’ai plus d’existence ici

je me réveille et je suis confrontée à la peur

les choses sont aujourd’hui réellement telles

qu’elles étaient en trente-huit

Il y a aujourd’hui plus de nazis à Vienne

qu’en trente-huit

tu verras

tout finira mal

il n’est même pas besoin

d’une intelligence particulièrement vive

maintenant ils ressortent

de tous les trous

qui étaient restés bouchés pendant plus de

quarante ans

Il te suffit de parler avec n’importe qui

il ne faut pas beaucoup de temps pour qu’il

s’avère

que c’est un nazi

que tu ailles chez le boulanger

ou à la teinturerie à la pharmacie

ou au marché

à la Bibliothèque Nationale je crois

n’être qu’au milieu de nazis

ils n’attendent tous que le signal

pour pouvoir ouvertement passer à l’action

contre nous

(…)

En Autriche tu dois être ou catholique

ou national-socialiste

tout le reste n’est pas toléré

tout le reste est anéanti

et cent pour cent catholique

et cent pour cent national-socialiste

p.64-65

Alors il faudrait sans interruption

jour et nuit protester

car partout tout est anéanti

partout la nature est anéantie

la nature et l’architecture tout

Bientôt tout sera anéanti

le monde entier sera bientôt méconnaissable

p.87

Je le sais

ça ne m’échappe pas

que l’on détruit tout

vous faites comme si je n’en savais rien

je sais aussi qu’on abat la vieille école

mais je ne proteste plus

vous êtes là pour ça

la génération suivante

le monde n’est déjà plus en fait aujourd’hui

qu’un monde détruit

en fin de compte insupportablement laid

on peut aller où on veut

le monde aujourd’hui n’est plus que laid

un monde de stupidité d’un bout à l’autre

tout est à l’agonie où qu’on regarde

le mieux serait de ne plus se réveiller

ces cinquantes dernières années ceux qui

nous gouvernent ont

tout détruit

et ce n’est plus réparable

les architectes ont tout détruit

par leur stupidité

les intellectuels ont tout détruit

par leur stupidité

le peuple a tout détruit

par sa stupidité

les partis et l’Eglise

ont tout détruit par leur stupidité

qui a toujours été une stupidité pleine de bassesse

et la stupidité autrichienne est une stupidité

de bout en bout repoussante

L’industrie et l’Eglise

sont responsables du malheur autrichien

les gouvernements sont totalement dépendants

de l’industrie et de l’Eglise

il en a toujours été ainsi

et c’est en Autriche que tout a toujours été le pire

tous ont couru après la stupidité

l’esprit a toujours été piétiné

L’industrie et le clergé tirent les ficelles

du mal autrichien

En fait je comprends très bien votre père

ce qui me sidère c’est que le peuple autrichien tout entier

ne se soit pas suicidé depuis longtemps

mais les Autrichiens dans leur ensemble en tant que masse

sont aujourd’hui un peuple de brutes et d’imbéciles

Dans cette ville quelqu’un qui voit devrait

jour après jour vingt-quatre heures sur

vingt-quatre faire un carnage

(…)

La seule chose qui soit restée à ce pauvre peuple immature

c’est le théâtre

L’Autriche elle-même n’est rien d’autre qu’une scène

où tout va à vau-l’eau à la putréfaction à l’agonie

une figuration enfoncée dans la haine d’elle-même

formée par six millions et demi d’abandonnés

six millions et demi de débiles et de fous furieux

(…)

Les Autrichiens sont des possédés du malheur

L’Autrichien est malheureux par nature

et lorsqu’il lui arrive d’être heureux il en a honte

et dissimule son bonheur sous son désespoir

p.91

Tout maintenant a touché le fond

pas seulement en politique tout

les hommes la culture tout

en quelques décennies tout a été dilapidé

c’est irréparable même en des siècles

quand on imagine ce qu’a été

cette Autriche

il ne faut pas y penser

ce serait une véritable provocation au suicide

je n’ai jamais été partisan de la monarchie

c’est tout à fait clair

personne d’entre nous ne l’était

mais ce que ces gens-ont fait de l’Autriche

est indescriptible

un cloaque sans esprit ni culture

qui répand sur l’Europe entière son insistante puanteur

et pas seulement sur l’Europe

ce républicanisme mégalomane

et ce socialisme mégalomane

qui depuis un demi-siècle déjà n’a plus rien à voir

avec le socialisme

la comédie que nous donnent les socialistes ici en Autriche

n’est rien d’autre que criminelle

mais aussi bien les socialistes ne sont-ils plus des socialistes

les socialistes aujourd’hui ne sont en fait pas autre chose

que des nationaux-socialistes catholiques

le socialisme les socialistes autrichiens

l’ont assassiné dès le début des années cinquante

depuis il n’y a plus de socialisme en Autriche

plus que ce pseudo-socialisme qui vous donne la nausée

qui vous coupe l’appétit tous les jours dès le petit matin

ce sont ces prétendus socialistes qui ont réveillé en Autriche

le national-socialisme d’aujourd’hui

ce sont ces prétendus socialistes qui ont rendu possible à nouveau

ils l’ont réveillé

ces prétendus socialistes qui depuis déjà un demi-siècle

ne sont plus des socialistes

sont les véritables fossoyeurs de cette Autriche

c’est ce qu’il y a de terrifiant et de quotidiennement nauséabond

les socialistes sont aujourd’hui les exploiteurs

les socialistes ont l’Autriche sur la conscience

les socialistes sont les fossoyeurs de cet Etat

les socialistes sont aujourd’hui les capitalistes

les socialistes qui ne sont pas des socialistes

sont les véritables assassins de cet Etat

en comparaison la canaille catholique est totalement négligeable

Si de nouveau il n’y a pratiquement plus aujourd’hui en Autriche que des nationaux-socialistes

la faute en est aux seuls socialistes

Si l’Autriche est aujourd’hui un peuple tombé si bas

et un pays si malpropre d’un bout à l’autre corrompu

nous le devons à ces pseudo-socialistes gros et gras

perfidie pseudo-socialiste sous couvert de démocratie voilà

il y a longtemps qu’à mes oreilles le mot socialisme

est une insulte répugnante

qui me fait aussi peur que le mot national-socialisme

tous ces partis

mais en fait les Autrichiens tous ensemble sont aujourd’hui les fossoyeurs de leur pays

tout ici est livré à la bassesse

et s’asphyxie chaque jour dans l’abjection et l’hypocrisie

Mais je suis bien vieux et n’ai plus envie

de me mêler de quoi que ce soit

ça n’aurait d’ailleurs aucun sens

quand tout pue la décomposition

et tout crie la mise en pièces

la voix de l’individu est devenue sans objet

ce n’est pas que l’on ne dise rien et qu’on n’écrive rien

contre ces processus désastreux

chaque jour on dit et on écrit

quelque chose contre

mais ce qu’on dit contre et qu’on écrit contre

n’est pas entendu et n’est pas lu

les Autrichiens n’entendent plus rien et ils ne lisent plus rien

c’est-à-dire ils entendent quelque chose à propos de situation catastrophique

mais ils ne font rien contre

et lisent des choses à propos de situation catastrophique

mais ils ne font rien contre

les Autrichiens sont devenus un peuple d’une indifférence totale

face à leur situation catastrophique

voilà leur malheur voilà leur catastrophe

p.102

(…)

Les Autrichiens sont depuis bien longtemps condamnés à mort

ils ne le savent simplement pas encore

ils n’en ont pas encore pris connaissance

il y a bien longtemps que le verdict est tombé

l’exécution n’est qu’une question de temps

à mon avis l’application de la peine est imminente

p.103

(…)

Tout époque est épouvantable

disait toujours votre grand-père

mais on ne s’en aperçoit que quand on est vieux

Que tout me dégoûte ici

je n’en parle pas en fait

mais je pense tout le temps

que tout me dégoûte

l’Etat un cloaque puant et mortel

L’Eglise une bassesse qui s’étend sur le monde entier

les gens qui vous entourent

insondablement laids et stupides

le président fédéral une brute rouée hypocrite

et en fin de compte un caractère déprimant

le chancelier un faux-jeton qui met l’Etat à l’encan

le pape offre dans ses appartements

ce qu’on appelle un repas chaud aux sans-abri

et fait publier la chose dans le monde entier

un monde cynique

le monde entier n’est qu’un grand cynisme

des acteurs mégalomanes

exploitent le Sahel

des directeurs pervers d’organisations de charité

prennent l’avion en première classe pour l’Erythrée

et se font photographier pour la presse mondiale

avec les morts de faim

le chancelier fédéral s’avance vers le podium en costume rayé

et se gargarise de camarades

les dirigeants syndicaux jonglent

dans leur villas de Salzkammergut avec les milliards

et voient leur principale mission dans des spéculations bancaires sans scrupules

Des écrivains pas très nets

vont dans les prisons

et lisent aux prisonniers

leurs hypocrites déjections comme des oeuvres d’art

un monde cynique

un monde dépravé de bout en bout

avec lequel je ne veux plus rien avoir à faire

En fin de compte c’était votre père le plus faible

il ne pouvait plus résister à cette pression

c’était tout simplement trop pour lui

les subterfuges philosophiques ne lui ont servi à rien

quand l’arc est trop tendu

il peut arriver une catastrophe

p.106

(…)

tout n’est qu’un immense dépôt de bilan

p.107

(…)

ce serait effroyable

de revenir au monde encore une fois tout encore une fois

c’est tout de même la plus effroyable des pensées

le but c’est la fin

c’est la seule pensée consolatrice

(…)

p.108

La vie entière n’est en fait rien d’autre

que se voir infliger une douleur permanente

une immense douleur voilà toute la vie

tous se mentent constamment à eux-mêmes à perpétuité

L’Eglise remplace pour la collectivité le cerveau

elle met à disposition de chacun son Dieu unique

elle met son bon Dieu en fermage pour ainsi dire

et pas seulement pour quatre-vingt-dix-neuf ans

mais pour chacun à perpétuité

elle s’en porte garante

je ne parle pas seulement de l’Eglise catholique

toutes les religions mettent leur bon Dieu en fermage

la foi n’est rien d’autre qu’un contrat de fermage

Des milliards de fermiers paient tous les ans leur gros fermage

à leur église

et s’y saignent

p.108

(…)

Ce qu’écrivent les écrivains

n’est rien en comparaison de la réalité

oui oui ils écrivent oui que tout est effroyable

que tout est corrompu et dépravé

que tout est catastrophique

et que tout est sans issue

mais tout ce qu’ils écrivent

n’est rien en comparaison de la réalité

la réalité est si abominable

qu’elle ne peut pas être décrite

aucun écrivain n’a encore décrit la réalité

comme elle est réellement

voilà ce qui est effroyable

ils font quelques pas et s’arrêtent à nouveau

Ce qu’ils préféreraient

s’ils sont sincères

c’est exactement comme il y a cinquante ans

nous gazer

voilà ce qu’il y a au fond de ces gens-là

je ne me trompe pas

s’ils pouvaient

aujourd’hui encore sans façon

ils nous supprimeraient

Mon frère a fui lui aussi ces gens effroyables

dans Kleist Goethe Kafka

mais on ne peut pas toute sa vie

se contenter de fuir dans la littérature et dans la musique

à partir d’un certain point ça ne marche plus

il ne reste plus alors selon les cas que le suicide

Probablement ce n’est qu’une question d’instant favorable c’est tout.

p.119

(…)

Donner à penser

ce n’était en fait rien de plus

Les oreilles des auditeurs sont toujours sourdes

on parle mais ce n’est pas compris

Incapacité à se renier soi-même

dans tous ces visages il n’y a en fait que prétention

rien d’autre

Tous les domaines du savoir profanés

toute culture anéantie

l’esprit éradiqué

autrefois c’était un plaisir de sortir dans la rue

p121

(…)

Quand on parle avec un être humain

il s’avère que c’est un idiot

en chaque Viennois il y a un exterminateur à la chaîne

mais il ne fait pas se laisser gâter sa bonne humeur

C’est la logique tout simplement d’être asphyxié

dans une communauté de destin

Vienne est une ville froide grise provinciale

c’est l’influence américaine qui la rend si répugnante

L’américanisme a tout détruit ici

Jamais je ne me suis laissé gâter ma bonne humeur

L’essence de l’Autriche je me demande toujours

ce que c’est

l’absurdité au carré

elle nous attire et nous repousse

socialisme totalement dépravé

christianisme totalement dépravé

A la fin cela ne fait que nous répugner à tous

voilà ce qui nous déprime

p.122

(…)

L’individu on en fait aujourd’hui ce que veut l’Etat

(…)

L’individu L’Etat l’a toujours envoyé se faire foutre

(…)

Sale époque

(…)

Au petit matin celui qui pense ne peut qu’avoir la nausée

(…)

Il règne partout un état de choses chaotique

Le mensonge est maître de tout

et l’impuissance

Sans doute le gouvernement sera remanié

à l’automne

(…)

Ce n’est pas la question

c’est totalement indifférent de savoir ce qu’il y a comme gouvernement

c’est en fait du pareil au même

ce sont en fait toujours les mêmes gens

ce sont en fait toujours les mêmes affaires que font ces gens

ce sont toujours les mêmes intérêts

ce sont en fait toujours ces gens toujours parfaitement dépravés

qui mènent chaque jour davantage l’Etat à sa perte

(…)

Rien que la langue de ces gens

est si répugnante

écoutez donc le chancelier fédéral

il n’est même pas capable de terminer correctement

une phrase

et les autres non plus

de tous ces gens ne sort toujours que de l’ordure

ce qu’ils pensent est de l’ordure

et leur manière de l’exprimer aussi est de l’ordure

(…)

Et les journaux écrivent de l’ordure

dans les journaux aussi on écrit une langue qui vous retourne l’estomac

sur la moindre page de journal je vous le garantis

sans parler des mensonges qui y sont imprimés

des centaines d’erreurs

les rédactions des journaux en Autriche

ne sont en fait rien d’autre que des porcheries sans scrupules au service des partis

(…)

Rien que des gens sans la moindre qualification

qui sont incapables de penser et donc d’écrire

(…)

Mais nous absorbons jour après jour ces déjections

en les lisant

parce qu’elles nous intéressent

et parce que nous sommes fascinés

Avouez donc cher collègue

qu’au fond ces feuilles de chou pour idiots

avec leur stupidité littéralement infernale

vous intéressent plus que par exemple le Nouveau Journal de Zurich

Ce qu’il est convenu d’appeler le haut niveau a toujours été ennuyeux

Ce que nous cherchons dans les journaux est effectivement la lie

Pour l’usage quotidien de ma pensée je n’ai pas besoin de journal

c’est de l’absolue primitivité de ces déjections journalistiques autrichiennes

que j’ai besoin tous les matins

p.128

(…)

Quand vous élisez aujourd’hui en Autriche

un homme politique

vous n’élisez en fait qu’un porc corrompu

oui c’est comme ça

(…)

p.131

Tout est en cours de décomposition

p.136

Les hommes politiques ont pressuré ce pays

l’ont jusqu’au bout détruit défiguré anéanti

Qu’en pensez-vous

(…)

Les Autrichiens n’ont pas le choix

quoi que choisisse l’Autrichien

c’est de la bassesse

(…)

Ce n’est qu’une question de temps

pour que les nazis reviennent au pouvoir

tous les signes le disent

les Rouges et les Noirs font entièrement le jeu des nazis

(…)

Alors il se passera exactement

ce que veut une grande partie des Autrichiens

que règne le national-socialisme

au dessous de la surface le national-socialisme

est en fait depuis bien longtemps revenu au pouvoir

p.140

Les professeurs d’université aujourd’hui en Autriche

sont presque sans exception des esprits provinciaux

ce qu’ils appellent pensée n’en est pas une

il leur manque en fait les plus simples présupposés

la pensée dans nos Facultés n’est plus en fait depuis des décennies

mise du tout en mouvement

et à cela s’ajoute la mentalité national-socialiste absolue

et catholique absolue qui est ici maître de tout

Les professeurs d’université d’aujourd’hui

sont d’une incroyable primitivité

leur innocence est catastrophique

Quand vous pensez que dans nos universités

les chaires les plus importantes sont occupées par des Tyroliens et des nazis de Salzbourg

ça ne peut être en fait que catastrophique

C’est la stupidité des hautes montagnes qu’on prêche aujourd’hui

voilà la vérité le kitsch de la nouvelle majorité

ce sont d’insupportables brutes qui enseignent

qui n’enseignent plus que la faiblesse d’esprit alpine rien d’autre

autrefois les professeurs d’université venaient de la haute-bourgeoisie

du judaïsme grand-bourgeois

aujourd’hui ils viennent du prolétariat petit-bourgeois mal élevé

et de la paysannerie débile

p.152

L’arche éditeur.

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Swift. Gulliver.

l’incendie était si violent (…) J’aurais facilement pu l’étouffer avec ma veste si je ne l’avais malheureusement oubliée dans ma hâte, arrivant vêtu de mon seul pourpoint. La situation semblait désespérée et effrayante ; ce palais magnifient eût brûlé jusqu’aux combles si, avec une présence d’esprit rare chez moi, je n’avais soudain pensé à un stratagème. J’avais beaucoup bu la veille au soir d’un vin succulent du nom de Glimigrim (…) lequel est fort diurétique. Par une singulière bonne fortune, je ne m’en étais pas encore soulagé. La chaleur du foyer mes efforts pour le circonscrire, accélèrent la conversion du vin en urine ; je la produisis en si grande quantité, la distribuai si bien aux endroits appropriés qu’en trois minutes l’incendie fut entièrement éteint ; ainsi le reste de la noble bâtisse, édifiée par tant de générations, échappa à la destruction.

Swift. Gulliver.

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Etre gouverné. Proudhon

Être gouverné

Être gouverné, c’est être gardé à vue, inspecté, espionné, dirigé, légiféré, réglementé, parqué, endoctriné, prêché, contrôlé, estimé, apprécié, censuré, commandé, par des êtres qui n’ont ni le titre, ni la science, ni la vertu… Être gouverné, c’est être, à chaque opération, à chaque transaction, à chaque mouvement, noté, enregistré, recensé, tarifé, timbré, toisé, coté, cotisé, patenté, licencié, autorisé, apostillé, admonesté, empêché, réformé, redressé, corrigé. C’est, sous prétexte d’utilité publique, et au nom de l’intérêt général, être mis à contribution, exercé, rançonné, exploité, monopolisé, concussionné, pressuré, mystifié, volé ; puis, à la moindre résistance, au premier mot de plainte, réprimé, amendé, vilipendé, vexé, traqué, houspillé, assommé, désarmé, garrotté, emprisonné, fusillé, mitraillé, jugé, condamné, déporté, sacrifié, vendu, trahi, et pour comble, joué, berné, outragé, déshonoré.

Pierre-Joseph Proudhon, Idée générale de la Révolution au dix-neuvième siècle, 1851.

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